Automne 1842 - Printemps 1845.
I. Les conséquences de la mort du Duc d'Orléans. Les craintes pour l'avenir cimentent la majorité. Changements dans le caractère de Louis-Philippe. L'agitation libérale fluctuante mais en croissance. II. Les grands débats de la législature. Le vote de la loi des deux ans. Le retour de la question de la presse. La loi de juillet 1844 sur la presse. Le Palais s'inquiète de l'approche des élections. Contacts à la Chambre. Coalition des minorités et adoption de la loi électorale de septembre. État du pays au printemps 1845. III. Progrès des sciences et des idées. Développement économique du pays. L'interventionnisme du ministère. La fondation de la légion et les progrès militaires.
Nous avons déjà exposé la stupeur qui saisit le pays suite au décès du Duc d'Orléans. On ne peut minimiser ses conséquences à long termes tant dans les allées du pouvoir que chez les plus modestes. Une fois l'émotion atténuée, les différents partis constataient l'étendue des dégâts ou les développements qui s'offraient à eux. Chez les dynastiques, qu'ils soient conservateurs ou libéraux, la consternation régnait. Tous avaient à l'esprit la régence ratée de 1830 et craignaient de voir le scenario se reproduire si Louis-Philippe venait à disparaître. Une régence, après quasiment deux siècles sans qu'un fils ne succédât à son père paraissait hasardeuse dans un pays où le principe monarchique paraissait si affaibli depuis un demi-siècle.
Chez les Légitimistes, on était fort gênés. L'association au malheur du Palais et de la France avait paru sincère mais l'esprit politique ressurgissait. Certains, au premier rang desquels le président de la Chambre lui-même, ne se privaient pas pour suggérer par le biais de la presse légitimiste l'idée de faire succéder le Duc de Bordeaux à Louis-Philippe, quel que soit le coup nouveau qui serait alors porté au principe monarchique. Il fallait alors conserver le pouvoir jusqu'au décès du Roi pour procéder à la substitution.
Enfin, chez les radicaux, on saluait un prince libéral et réformateur mais la faute politique majeure des députés de ce parti à la Chambre choqua profondément l'opinion. Alors que le Roi venait ouvrir la session de la Chambre début septembre, en plein deuil national, l'extrême gauche de l'assemblée refusait de la saluer comme les convenances demandaient que l'on saluât un père en deuil.
Une conséquence inattendue du changement dans l'ordre de succession fut l'entente qui régna dans la majorité conservatrice de la Chambre. Chacun y avait intérêt pour des raisons, il est vrai, différentes. Le calcul macabre sur l'espérance de vie du Roi en était le centre : les Légitimistes voulaient tenir le pouvoir et donc se faire réélire; les Conservateurs craignant pour l'avenir de la dynastie, voulaient éviter tout trouble inutile. Enfin, la plupart s'entendaient sur l'ordre des choses : la monarchie de juillet était celle qui était en place et tout tenant de l'ordre avait intérêt à sa stabilité, sous peine de revoir l'abime s'ouvrir devant la France. C'était une préoccupation qui allait jusqu'à la gauche des libéraux dynastiques.
Il est temps d'évoquer le changement d'esprit de Louis-Philippe après le drame l'ayant touché. On a dit que le Roi avait soupiré son dépit de ne pas être celui que la Providence avait fait chuter. Inquiet, à présent de l'avenir de sa dynastie, le Roi perdit de son pragmatisme et de sa bonhommie et se fit de plus en plus immobiliste. Tendance renforcée par l'âge et par l’obstination propre au sang bourbonien. La réforme avait perdu son champion et en même temps le soutien éventuel du Roi.
La vie politique reprit son cours dans le pays et les craintes conservatrices paraissaient se vérifier. L'agitation libérale croissait lentement. C'était une cacophonie de protestations polies et même cacophoniques pour le moment limitée à quelques banquets et campagnes de presse. Mais chez les étudiants, dans certains estaminets voire dans certaines légions de la Garde Nationale, on commençait à contester comme avant 1832.

Cependant, le tableau ne doit pas être apocalyptique. L'agitation libérale disparaissait parfois d'elle-même, faute de combattants, par lassitude ou suite aux efforts de la Sureté contre les sociétés secrètes.

La disparation de la tranquillité qui régnait depuis 1835 était cependant notable et cela paraissait confirmer les prédictions pessimistes qui saisissaient alors les conservateurs.