Ca ne sert pas à grand chose d'épiloguer sur "le débarquement, succès ou échec ? " (je parle du qualificatif, les conséquences, c'est autre chose)
I/ Le qualificatif :
Le débarquement est un peu tout à la fois :
* Un relatif échec tactique si l'on tient compte de l'énormité des moyens déployés en regard des objectifs initiaux atteints
* Une indéniable réussite si l'ont considère la difficulté de l'opération, son aspect "inédit" (c'est la première fois qu'une opération d'une telle envergure est hasardée), et les énormes pertes humaines qu'elle aurait pu générer côté Alliés (les pertes ont été significatives mais pas si énormes en regard de la difficulté de la tâche)
* Un succès opérationnel, encore accentué par le débarquement en Provence
* Egalement un succès stratégique (il donne davantage de "champ" aux armées alliées qu'un débarquement plus au Nord ; par ailleurs, bien coordonnée ou non, une synergie de fait existe désormais avec le Front de l'Est)
II/ Les conséquences :
* En cas d'échec complet du débarquement, les Alliés n'auraient eu aucun intérêt à faire une paix séparée avec l'Allemagne : on ne traite pas après un échec si cinglant quand on dispose d'un arsenal militaro-industriel du niveau des Alliés. Bien sûr, les wargamers en chambres adorent spéculer et imaginer des attentats réussis contre Hitler, des paix négociées, etc : ils voient les choses par le petit bout de leur lorgnette "wargamique" et c'est assez humain.
*Les Soviètiques non plus n'auraient pas eu intérêt à faire une paix sans les Alliés, du moins pas avant d'être certain de ce que feraient ceux-ci en réaction à leur échec. A court terme, leur intérêt aurait été de suspendre leur poussée sur le front Est et de consolider leurs acquis : wait and see, ne pas faire de paix immédiate pour ne pas perdre l'alliance avec l'Ouest (ou au moins pour ne pas aparaître comme le facteur de rupture), ne pas non plus poursuivre seul l'effort d'avancée pour ne pas payer le prix fort de la victoire ni s'exposer à un "contre" stratégique (donc, si décision de poursuivre l'effort, au moins faire au préalable un bref "audit" des forces transférables d'Ouest en Est par l'Allemagne : évaluer les risques).
C'est en définitive l'option prise par les Alliés qui aurait sans doute commandé la suite et l'attitude soviétique : la position russe aurait dépendu de la position anglo-saxonne : biaiser et négocier (plus ou moins en douce, avec si possible marché de dupes à la clé), ou poursuivre la guerre. Quand on sait l'état d'avancement des recherches sur l'arme nucléaire aux USA et la progression de la sensibilité de l'opinion aux pertes humaines, il est fort probable que la logique qui aurait prévalue chez les Alliés aurait été celle-ci : "Poursuivons officiellement la guerre, notre potentiel est tel que nous ne pouvons pas perdre, mais faisons désormais la guerre au moindre prix et aux frais des Russes et des Allemands => Orientation vers une guerre exclusivement "grand stratégique" : tout sur le bombardement de l'Allemagne (solution provisoire, à la fois comme vecteur de réassurance aux Russes et comme vecteur de destruction de la menace Allemande) puis utilisation de l'arme nucléaire, même en petite série (une ou deux). Cette solution aurait sans aucun doute retardé la libération de l'Europe mais d'une certaine manière, ce sont les soviétique et la population allemande qui auraient payé le prix de ce retard, donc moindre mal pour les Alliés occidentaux : des pertes militaires russes et civiles allemandes, après tout, voilà des pertes encore supportables à l'époque => les uns sont des communistes et les autres ont plus ou moins cherché ce qui leur arrive.
D'où l'option inévitable d'un largage nucléaire sur un des principaux centres industriels Alemands à plus ou moins long terme. En pareille hypothèse, l'intérêt des Alliés aurait (peut-être) été (paradoxalement) de ne pas trop hâter le largage tout en continuant à donner des assurances fermes d'alliance aux Russes : attendre que les Allemands aient repris un peu de poil de la bête à l'Est afin que les Russes ne soient pas en si bonne posture au moment de l'emploi de la bombe atomique : triple effet => Armée Russe un peu (? à voir cependant, l'armée allemande était un poil laminée à l'Est) mise à mal par le dernier sursaut Allemand, victoire salvatrice Alliée due au largage (et non à l'offensive soviétique), discret avertissement aux soviétiques.
Nous avons tendance à prendre les Américains de l'époque pour des enfants de choeur, mais ils étaient tout aussi cyniques que les Allemands et les Russes eux-mêmes -et ils avaient parfaitement raison de l'être : seuls les niais croient aux mondes meilleurs et aux bisounours. En cas d'échec du débarquement, l'Europe ne serait donc pas devenue "communiste", ceci relève du fantasme pur et simple.
EDIt : quand à la question de l'incidence d'un transfert de forces d'Ouest en Est par les Allemands (question distincte de l'effet "politique" d'un échec du débarquement), il faudrait faire une étude approfondie : que valaient au justes ces forces intrinsèquement ? Et quelle aurait été leur valeur opérationnelle une fois transférées sur un front bien plus "sauvage", destructeur et mouvant que celui où elles étaient stationnées depuis un moment ? Question ouverte...
Post-edit : quand je parle du cynisme américain, je fais allusion à ce fameux "partage" de l'Europe à propos duquel on nous rabache sans arrêt la "naïveté" américaine. En réalité, les américains ont tout simplement "vendu" une partie de l'Europe à quelqu'un qui, de fait, la contrôlait déjà, où à qui allait bientôt la contrôler sans possibilité de la lui arracher sans payer un prix énorme. Et même si l'on considère ceci comme improbable, les américains n'avaient au fond que faire de la liberté de l'Europe orientale : ils ont vendu un
chien malade à Staline.
=> Je me demande où est le dupe ¨dans l'affaire (les anglo-saxons sont très fort pour se donner le rôle de "grand naïf au coeur pur", cela fait partie de l'intrinsèque hypocrisie de leurs sociètés, y compris sur le plan sexuel. Je sens que le débat va glisser

).
Au passage : je profite de ce sujet pour prêcher pour ma paroisse => Third Reich (PC ou "papier"), par le fait qu'il permet de jouer toute la WW2 en une grosse quinzaine de tours sans céder à la simplification, est le seul jeu qui permette de tester facilement un grand nombre de what if ? "grand stratégiques" ou strategico-politiques, soit en "solo objectif" (comme un wargame papier), soit en jeu humain/humain (avec pour objectif commun des deux joueurs, non de gagner, mais de tenter de vérifier des what if en pondérant avec des "options divergentes"). World in flames aussi, bien entendu, mais aucune comparaison n'est possible en termes de simplicité/rendu(WIF est un monstre dont beaucoup de gens parlent alors que peu y jouent vraiment, Third Reich reste beaucoup plus abordable).