Prologue.
Paris, 29 décembre
Séance Royale pour l'ouverture de la session des deux chambres en 1836
Le mauvais temps avait peu retardé l'empressement des curieux. Peu de temps après l'ouverture des portes, toutes les tribunes étaient combles.
Les préparatifs achevés depuis dimanche sont les mêmes tous les ans. On avait placé sous le dais, à droite et à gauche du trône, trois plians pour les trois plus âgés des fils de S.M.; mais une de ces trois places n'a point été occupée, M. le duc d'Orléans n'étant pas encore de retour de Toulon.
Les degrés inférieurs du trône étaient garnis de banquettes pour MM. les maréchaux de France, les grands-officiers de la Légion d'Honneur et la députation du conseil d’État.
MM. les pairs de France occupaient les rangs de droite ; MM. les députés ceux du centre et de la gauche.
A midi et demi on a vu arriver dans la tribune du corps diplomatique Lord Granville, ambassadeur d'Angleterre, M. le comte Pahlen, ambassadeur de Russie, M. le comte d'Appony, ambassadeur d'Autriche, M. le duc de Frias, ambassadeur d'Espagne, M. le baron de Werther, ministre de Prusse, M. le Hon, ministre de Belgique, M. le baron de Sales, ministre de Sardaigne; l'ambassadeur de la Porte-Ottomane était assis au premier rang.
A une heure, le canon des invalides a annoncé l'arrivée du cortège. M. le duc de Broglie, président du conseil, M. Thiers, ministre de l'intérieur, M. le Maréchal Maison, ministre de la guerre, M. l'amiral Duperré, ministre de la marine, se sont placés à gauche du trône; on voyait sur la banquette de droite M. Persii, garde des sceaux, M. Guizot, ministre de l'instruction publique, M. Duchâtel, ministre du commerce, M. Humann, ministre des finances.
S.A.R. Mme Adélaide, les princesses, MM. les ducs d'Aumale et de Montpensier ont été introduits dans une tribune particulière.
Le Roi a été reçu dans un salon par la grande députation de la Chambre des Pairs, ayant à sa tête M. le comte de Portalis, et par la grande députation de la Chambre des Députés, présidée par M. Bédoch, doyen d'âge.
Un huissier : "Le Roi!"
Les cris de vive le Roi! éclatent de toutes parts.
S.M. monte sur son trône; M. le duc de Nemours en grand uniforme, est à droite; M. le prince de Joinville est à gauche.
Toute l'assemblée se lève, mais bientôt on s'assied et le plus religieux silence s'établit.
Le Roi se couvre et prononce le discours suivant :
Messieurs les Pairs et Messieurs les Députés,
En vous voyant réunis de nouveau autour de moi, je suis heureux d'avoir à me féliciter avec vous de la situation de notre pays. Sa prospérité s'accroît chaque jour; sa tranquillité intérieure paraît désormais hors d'atteinte et assure sa puissance au dehors. Les mesures que vous avez adoptées dans votre dernière session ont atteint le but que nous nous proposions de concert; elles ont consolidé l'ordre public et nos institutions.
J'ai été profondément touché des sentiments que la France a fait éclater pour ma famille et moi, lorsque, dans un moment de douloureux souvenir, la Providence a daigné me conserver des jours à jamais consacrés au service de ma patrie.
Une expédition a été entreprise pour la sécurité de nos possessions d'Afrique a été conduite et accomplie comme il convenait à l'honneur de la France. J'ai vu avec émotion l'aîné de ma race partager les fatigues et les dangers de nos braves soldats.
J'ai lieu de me féliciter de l'état de nos relations avec les puissances européennes. Notre intime union avec la Grande Bretagne se resserre chaque jour et tout me donne la confiance que la paix dont nous jouissons ne sera point troublée.
Mon gouvernement a continué de prendre, sur notre frontière d'Espagne, les mesures les plus propres à accomplir fidèlement les clauses du traité du 28 avril 1834. Je fais des vœux ardents pour la pacification intérieure de la péninsule et pour l'affermissement du trône de la reine Isabelle II.
Je regrette que le traité du 4 juillet 1831 avec les États-Unis d'Amérique n'ait pas encore pu recevoir sa complète exécution. Le Roi de la Grande Bretagne m'a offert, ainsi qu'aux États-Unis, sa médiation amicale. Je l'ai acceptée et vous partagerez mon désir que ce différent se termine d'une manière également honorable pour deux grandes nations.
L'état des finances est satisfaisant, le revenu public s'accroît par le seul effet de la prospérité générale. Les lois de finances seront présentées sous peu à la Chambre des Députés.
Les Lois qui vous ont déjà été présentées ou annoncées seront soumises à votre examen, ainsi que celles qu'une législation récente a réservées aux délibérations de la présente session.
J'espère, Messieurs, que le moment est venu, pour la France, de recueillir les fruits de sa prudence et de son courage. Éclairés par le passé, profitons d'une expérience si chèrement acquise; appliquons-nous à calmer les esprits, à perfectionner nos lois, à protéger par de judicieuses mesures tous les intérêts d'une nation, qui, après tant d'orages, donne au monde civilisé le salutaire exemple d'une noble modération, seul gage des succès durables. Le soin de son repos, de sa liberté, de sa grandeur, est mon premier devoir; son bonheur sera ma plus chère récompense.
M. Le garde des sceaux: MM. les pais nommés depuis la dernière session sont admis à prêter serment entre les mains du Roi, je vais en lire la formule:
"Je jure d'être fidèle au Roi des Français, d'obéir à la Charte constitutionnelle et aux lois du royaume, et de me conduire en tout comme il appartient à un bon et loyal pair de France."
Tout ceux de MM. les pairs qui sont présents se lèvent et répondent : Je le jure!
M. le ministre de l'intérieur : MM. les députés nommés depuis la dernière session sont admis à prêter le serment dont je vais lire la formule : "Je jure d'être fidèle au Roi des Français, d'obéir à la Charte constitutionnelle et aux lois du royaume, et de me conduire comme il appartient à un bon et loyal député."
Les députés concernés ont répondu : Je le jure!
M. le Garde des sceaux : Messieurs, au nom du Roi, j'ai l'honneur de déclarer la session des Chambres pour 1836 ouverte. En conséquence, MM. les pairs et MM. les députés se réuniront demain dans le lieu respectif de leurs séances.
La séance est levée aux cris de Vive le Roi!
Une nouvelle salve d'artillerie annonce le départ du cortège qui se remet en route par la rue de Bourgogne, le pont de la Concorde, le quai des Tuileries et le Carrousel.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4 ... .item.zoom