La politique extérieure jusqu'en 1848.
Le retour au calme après la crise d'Orient. La Russie paie la crise d'Orient; les projets français contrariés. La fin du Duché de Lucques. L'annexion de Cracovie. Rivalités franco-prussiennes en Allemagne. La France développe son influence. Le système latin construit par la France. Stabilité en Europe.
Alors que la France avait volontairement fait le choix d'ignorer les troubles secouant le Levant et s'était concentrée sur sa destinée Outre-mer, les puissances s'y étaient engouffrées. Seul, le Pacha Mehemet-Ali dut faire face à l'intervention anglo-russe qui le vainquit après une invasion violente de l’Égypte. Mehemet-Ali avait accepté les termes des puissances, renonçant à la Syrie, au Hijaz et à la Crète mais se garantissant l'hérédité du Pachalik d’Égypte sous une tutelle Ottomane qui n'était plus que théorique. L'Europe retrouvait le calme après cette crise qui aurait pu dégénérer en guerre continentale si nous avions fait preuve de plus d'impulsivité.
La crise d'Orient avait des fruits politiques, elle avait aussi des conséquences économiques. L'intervention directe avait un coût qu'avait pu supporter l'Angleterre, forte de la prospérité de ses industries et de son commerce. La Russie, au contraire, n'avait pas ces moyens et sa longue intervention à travers la Turquie puis le Levant coûta excessivement cher à Saint Petersbourg. La Russie fut forcée de reconnaître l'état désastreux de ses finances et de se déclarer en banqueroute. L'affaire contraria profondément les projets français. Le temps que la Russie assainisse ses finances et puisse à nouveau intervenir avec efficacité dans le concert des nations, plusieurs années seraient nécessaires. A Paris, on espérait jusqu'alors faire de la Russie un allié de la France. Depuis l'arrivée des Légitimistes au pouvoir, le Tsar voyait plus favorablement la France et s'intéressait à une alliance éventuelle afin de se garantir contre l'Autriche ou la Prusse. Le ministère et Louis-Philippe s'accordèrent pour remettre cette question à une date où la Russie aurait retrouvé vigueur et crédibilité.
Entre la fin de la crise d'Orient et 1848, deux États disparurent de la carte européenne. Au Traité de Vienne, Marie-Louise de Bourbon Parme reçut le petit Duché de Lucques qu'elle transmit à son fils, Charles, ancien roi d'Etrurie, en 1824. La destiné du petit État était liée à celle du Duché de Parme, à présent fédéré au Royaume de Sardaigne. Au décès de l'ex-impératrice Marie Louise, Charles devait hériter au du Duché de Parme tandis que Lucques devait passer à la Toscane. Marie-Louise rendit l'âme à la fin de 1846 et le 1er janvier 1847, Lucques fut transféré à la Toscane. Cette annexion ne fut guère populaire : Bourgeois et nobles regrettèrent leur autonomie et le déplacement du pouvoir à Florence, tous regrettèrent le coup financier de la coordination entre les deux systèmes administratifs. Seuls quelques libéraux se félicitèrent, voyant déjà ici une nouvelle étape vers la constitution d'une Italie nouvelle.
A l'est se trouvait le deuxième Etat disparu de 1847. L'Autriche avait déjà occupé la Ville Libre de Cracovie en 1836, afin d'y rétablir l'ordre. La petite république était effectivement une base appréciée des agitateurs en tout genre et des trafiquants d'armes à destination de la Pologne Russe. Les trois puissances garantes s'étaient dès 1835 mises d'accord pour confier à l'Autriche, si le besoin s'en faisait sentir, le soin d'occuper et d'annexer la Ville Libre si l'agitation y reprenait. En 1847, l'insurrection éclata : les Polonais, exaspérés par la tutelle Autrichienne sur leurs autorités et leur police, se soulevèrent. L'Autriche, en accord avec les co-signataires de 1835, pénétra à nouveau dans le territoire de la petite république et l'annexa, formant à sa place un Grand Duché de Cracovie incorporé à l'Empire Autrichien. La France n'avait guère sa voix à donner sur la question, n'étant pas signataire du Traité de 1835. L'opération Autrichienne ayant de plus était extrêmement rapide, il n'y eut guère de temps pour les chancelleries française ou britannique de réagir, l'eussent-elles voulu.
Le ministère se serait-il engagé dans une crise avec Vienne pour la minuscule Cracovie? C'est peu probable, d'autant plus qu'en Allemagne notre rivalité s'accroissait avec la Prusse. Le gouvernement français continuait en effet à développer sa présence au sein du Royaume du Hanovre, espérant en faire un allié solide en Allemagne du Nord, un contre-poids à l'influence d'autres puissances. C'était bien la Prusse qui était visée et cette dernière ne s'y trompait pas. Ainsi, alors que nous étions de plus en en plus en cour auprès du gouvernement du roi Ernest-Auguste, les agents prussiens faisaient de leur mieux pour provoquer scandales et incidents irritant les Hanovriens. Cependant, si notre influence pénétrait de plus en plus difficilement, les événements ne remettaient pas en cause notre alliance.
Sous d'autres cieux, notre influence progressait sans plus d'obstacles. L'Espagne, encore considéré comme une grande puissance en 1836, était à présent vue comme une puissance secondaire, affaiblie par ses dissensions internes et sa stagnation économique. Le soutien constant de la France et plus particulièrement du Roi au gouvernement constitutionnel libéral de l'Espagne avait développé nos relations communes. Le traité du 10 janvier 1846 renforça encore ces liens : les deux royaumes s’engageaient dans une alliance, garantissant l'Espagne dans ses visées au Maroc et nous garantissant la sécurité de notre frontière sud. Mieux encore, le traité nous ouvrait la possibilité d'investir en Espagne. Immédiatement, la Chambre vota des crédits conséquents pour le développement de l'investissement dans les chemins de fer en Espagne. Les Espagnols allaient découvrir les trains, mieux encore, les trains des compagnies françaises.
A coup de petites alliances et de traités, c'est ce que l'on appela ensuite un "système latin" que construisit la diplomatie de la royauté de Juillet. Ne pouvant s'allier à une grande puissance du fait des équilibres européens, des préventions ou d'intérêts contraire, nous avions dû nous contenter de puissances secondaires. Cependant, c'est un petit bloc latin qui nous avions alors conçu. La majeure partie de l'Italie nous était alliée, notamment les deux royaumes de Piémont-Sardaigne et des Deux-Siciles dont les forces n'étaient pas négligeables. La Péninsule Ibérique nous avait suivi, par l'alliance avec l'Espagne puis avec le Portugal. Plus au nord, les Pays-Bas et le Hanovre complétaient cette construction.
Ce système d'alliance n'était pas capable de remettre en question l'ordre des Traités, il était même en Italie plutôt porté à le protéger, mais là n'était pas la question. En 1847, l'Europe présentait l'image de la stabilité diplomatique, hormis les deux disparations mineures que nous avons évoquées : l'ordre de 1815 paraissait solide.
