Sans tarder deux régiments autrichiens se mirent en marche vers Dresde, où aucune troupe de l'armée régulière ne reposait. Le commandant de la ville, ancien colonel de l'armée palatine, eut la présence d'esprit d'organiser deux bataillons de marche parmi les habitants de la ville et son administration. La menace était grande, les Autrichiens disposaient de régiments surgonflés et parfaitement entrainés.
Retranchés dans des habitations de pierre, ces deux bataillons étaient décidés à tenir leur position. Ses hommes éprouvaient comme honteuse la défection de Leipzig, dont ils avaient entendu parler deux jours auparavant. Les Autrichiens se voyaient dans l'obligation de se battre à la bayonette ou de se limiter à un feu peu effectif.
La
furia saxonae causait des ravages dans les rangs autrichiens, combattre rue par rue était éreintant et surtout, sanglant. Quand les munitions venaient à manquer, de sauvages corps à corps remplaçaient subitement les détonations incessantes des mousquets. Au soir, les régiments du Kaiser battirent en retraite. Le coup de main sur Dresde avait échoué.
Un petit détachement marchait également de Silésie vers le Brandebourg, peu défendu. Un piège fut organisé et mené de main de maître. La troupe autrichienne, attirée par une compagnie en mission de diversion, s'enfonça dans les denses bois du Spreewald. Surpris et fragmentés, Pandurs et lignards furent battus en détail.
Ainsi, par l'habileté et le courage de ses officiers, la Prusse put contrer les mouvements éclairs de Leopold. Par contre ses nouveaux protégés se révoltaient contre l'autorité en place, paralysant d'importantes manufactures et menaçant dangereusement l'ordre public. Tandis qu'une petite troupe se réclamait de la Pologne-Lithuanie, la plupart des révoltés n'aspiraient qu'a endommager les structures administratives mises en place par le gouvernement prussien. Les rares églises protestantes du pays étaient des cibles très prisées, car elles symbolisaient les valeurs qu'on tentait d'imposer aux Polonais réticents.


Frédéric Ier était débordé par les évènements. L'armée zu Dohna-Schlobitten était en convalescence à Varsovie, elle avait besoin d'un peu de temps pour se réorganiser et entrainer les nouvelles recrues. Son général se refusait à bouger s'il ne s'agissait pas d'une nécessité extrême. Or, il n'était pas judicieux d'envoyer une armée combattre dans des rues infestées d'insurgés, durant une guerre contre un état infiniment plus puissant.

Le contentieux devait être réglé par voie diplomatique selon la volonté du roi. Leopold von Anhalt-Dessau avait ordre de couvrir Dresde avec sa puissante armée. Animé par la soif de gloire, il fit cependant en sorte de s'avancer de plus en plus profondément en Bohême, sous prétexte de poursuivre des régiments autrichiens isolés. Lorsque la nouvelle se répandit en Bohême-Moravie, plusieurs villes se révoltèrent. Elles espéraient que les protestants en approche les laisseraient faire, et usaient de la faiblesse momentanée du Kaiser pour arracher des droits supplémentaires. Ils n'imaginaient pas que les Prussiens puisse s'enhardir à occuper Prague. C'est pourtant ce qui arriva, le général von Anhalt-Dessau profitant de l'absence de résistance organisée pour accomplir ce que lui-même n'aurait pas pensé possible une semaine plus tôt.

Quelques rares tirs de mousquet coûtèrent la vie de trois soldats prussiens, ce qui était bien peu payé pour la possession de la cité presque millénaire. Le Kaiser fulminait, presque autant que Frédéric Ier qui se voyait désormais dans une situation encore plus délicate que précédemment. Comment obtenir le
status quo ante bellum en pareille circonstance? La Bavière se pressait à la rescousse de son allié et déclara la guerre à la Prusse.
Les grandes découvertes de ces temps houleux passèrent presque inapercues, tellement le monde ne se préoccupait que de guerre. Les investissements en temps de paix dans l'infrastructure civile paraissaient dérisoires, inadaptés. Le peuple grognait à l'encontre des nobles, qui préféraient construire des opéras et philosopher plutôt que manier l'épée et protéger leurs terres.

Pendant que le fer s'entrechoquait en Bohême et en Masovie, la plume régissait les affaires de la Baltique. Un accord juteux avait été conclu avec Charles XII, content d'être débarassé de la puissance polono-lithuanienne et avide de mettre les Moscovites au pas. La Suède entretenait une relation emprunte de confiance avec la Grande-Bretagne, forte par sa durée et sa vivacité. Les îles britanniques avaient grand besoin de bois pour leur gigantesques flotte, une ressource que l'on pouvait trouver à foison dans la Suède si vaste. Ce furent ainsi les Suédois qui offrirent de rapprocher les Prussiens des Britanniques. Ces derniers étaient très intéressés par une alliance militaire, en quête d'une puissance assez solide pour maintenir l'équilibre des forces sur le continent européen. Un traité sur dix ans fut signé sur l'île de Helgoland par les plénipotentiaires des deux souverains.
Désormais sous la protection d'un formidable allié, Frédéric put engager des négociations avec l'Autriche plus aisément. La cour de Vienne était tellement affolée par le retournement de situation qu'elle pressa l'Empereur de signer la paix rapidement. L'Autriche ne s'était toujours pas complètement remise du choc de 1683, lorsque les Turcs avaient assiégé Vienne. Ils redoutaient une guerre contre un adversaire qui pourrait compter sur la colossale richesse anglaise pour l'épauler. La France pouvait à tout moment engager un nouveau conflit en Lorraine, on ne savait que trop penser des Ottomans, battus mais toujours aux aguets. Leopold se résigna et signa la paix. Il se promit de ne plus agir sur un coup de tête, et à éviter de se fier à de misérables paysans à l'avenir. Les Polonais n'avait levé aucune armée digne de ce nom pour soutenir la guerre qui devait les libérer! Dans la hâte de cette pirouette diplomatique, la question de la Bohême-Moravie ne fut pas réglée clairement. Bien sur, Frédéric ne voulait plus abandonner la place, il savait trop bien que les menaces autrichiennes n'étaient pas crédibles. Au vu des révoltes protestantes et de la difficulté de chasser les Prussiens autrement que par la force, le Kaiser dût se résoudre à laisser la province à Frédéric. On disait qu'après cette décision ô combien humiliante, Leopold grinçait systématiquement des dents lorsqu'il entendait des nouvelles de son voisin du Nord.

La Bavière des Wittelsbach, elle, restait en état de guerre. Son armée se dirigeait vers Dresde, dans l'espoir de battre rapidement les armées prussiennes et d'occuper la capitale de la Saxe dans le même mouvement. Ainsi, Maximilien II aurait été en état de menacer sérieusement Berlin et d'obtenir une paix avantageuse. Un plan certes osé, mais qui était fort dangereux pour Frédéric si les mouvements initiaux réussissaient.