Histoire de la Suède, par Thor Danton. Chapitre II. L’aube des damnés
Les fruits de la liberté mangés, et même rongés, notre destin tragique nous est retombé dessus : Ô Seigneur, pourquoi nous accables-Tu tant ? N’entends-Tu pas nos cris de détresse, de désespoir, notre famine ? Pourquoi nous laisser mourir de froid et de faim quand les Danois mécréants, juste à côté, ne cessent de s’engraisser

? En vérité je vous le dis, ces misérables sucent notre sang et bientôt se délecteront de notre âme si nous ne réagissons pas. Ils nous ont envoyé la peste, qui a dépeuplé nos maigres campagnes et a fait des ravages, malgré toutes nos prières : le Pape est resté sourd à nos appels, les autres chrétiens aussi

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Justement irritée par le comportement démoniaque de Copenhagen, la Pologne, notre alliée, est entrée en guerre et nous avons du suivre le mouvement : que nous reste-il en effet si ce n’est la liberté et l’honneur ? Nos braves soldats ont bravé la faim, le froid et l’inconnu pour surgir subitement au large de l’Iselande danoise à bord de si frêles esquifs que l’ennemi crut d’abord qu’il s’agissait d’épaves

. Le feu impie a malheureusement eu raison de nos braves, affaiblis par tant d’années de privations et décimés par la maladie maligne.
Il a fallu repartir en arrière, la honte s’ajoutant au désespoir. Mais que pouvaient donc espérer de simples paysans contre une armée moderne ? Nous n’avions que notre courage et notre volonté : en face, ils avaient les canons et la poudre. Et nos malheurs ne se sont pas arrêtés là : le destin nous frappa encore au large des côtes norvégiennes, une rencontre terrible avec la flotte danoise qui nous coûta 20% de nos vieux navires, l’espoir déçu d’une nation de damnés

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L’élite de nos troupes, c’est-à-dire les seules à recevoir, parfois, à manger étaient stationnées au Jyland : leur objectif était de marcher contre Copenhagen et de piller cette ville maudite dont les entrailles pouvaient nourrir notre royaume affamé pendant au moins une décennie. C’était oublié un peu vite le destin tragique qui s’attache à nos pas défaillants depuis l’aube des temps : l’ennemi conserva toute la guerre durant une puissante flotte dans les détroits, qui réduisit à néant tous nos projets vengeurs

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Pire, les perfides quittèrent leur nid d’opulence pour s’engouffrer dans nos rangs clairsemés : même notre puissante cavalerie n’a rien pu faire, il a fallu retraiter du Jyland. Seigneur, pourquoi nous frappes-Tu donc si fort ? Aie pitié de nous, nous T’en supplions, aie pitié ! Pourquoi ne nous laisser qu’une vie de misère et de souffrance ? Comment ne pas sombrer dans le désespoir le plus profond lorsque, bravant les tempêtes et la flotte ennemie, nos valeureux combattants revinrent en Iselande... pour découvrir celle-ci désormais contrôlées par les Écossais, en guerre eux aussi contre les Danois...
Dans le grand nord, les hordes russes, fort occupées par nos alliés, étaient plutôt discrètes, mais le froid, lui, était implacable et faucha toute une génération des damnés que nous sommes. Pourtant, à force de ténacité et de fanatisme, nous avons sur conquérir deux provinces et deux autres s’apprêtaient à tomber quand la nouvelle terrible arriva : la paix était signée, le Danemark impie s’engraissait toujours plus. Immense fut notre lassitude et notre désespoir : abandonnés des hommes et de Dieu, que nous restait-il à espérer ?
Un homme audacieux proposa alors un changement pour modifier la trajectoire de notre tragique destinée : il fallait un Roi à la Suède ! Trois candidats se présentèrent : l’audacieux, peste et choléra. Le premier remporta le premier scrutin libre et démocratique de notre royaume

et devient roi sous le nom de Gustav Vasa. Cela apaisera t-il notre estomac souffrant et notre corps frêle rongé par la maladie et le vent glacial ? L’avenir seul nous le dira mais, pour au moins apaiser leurs consciences, certains ont sacrifié le rien qu’ils possédaient pour obtenir le pardon des fautes que nos ancêtres, Adam et Eve, ont visiblement commis : comment expliquer autrement notre misère ?
Grande fut notre colère lorsqu’il fut découvert que notre sacrifice avait été honteusement détourné par des individus lubriques et goinfres qui se disaient serviteurs de l’église et qui se nourrissaient de notre misère. Parmi eux, l’Abbé Coelio

, le plus vicieux, le plus avide de tous, fut retrouvé des dizaines de pâtés dans ses poches cousues d’or, une foule de jeunes filles achetées avec notre sang à ses pieds dégoûtants. La pendaison était encore un châtiment beaucoup trop doux pour ce monstre immoral, mais le misérable, de ses doigts graisseux, suant comme un porc, sortit de des poches dans lesquelles il avait détourné à son profit le noble sacrifice des souffrants que nous sommes la bulle papale qui lui conférait pleine autorité sur nos terres... La rupture avec Rome fut immédiate : la Suède ne reconnait plus le pouvoir du Pape, incapable de reconnaître l’oppressé du bourreau, et se détourne pour toujours du catholicisme : seul le protestantisme met en application les saines valeurs chrétiennes prônées par notre Seigneur Jésus

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Le Peuple Damné est et restera libre et protestant ! Puisse Dieu enfin nous venir en aide pour détourner de nous notre si tragique destin...