La suite va arriver ce weekend.
Pour patienter, deux extraits de "Choses Vues".
Lamartine fit à l’Assemblée le rapport du Gouvernement provisoire. Il fut très applaudi. Le soir, rumeur et colère au club Blanqui. Après un discours d’Alphonse Esquiros sur les sourds-muets contre l’instituteur Delanno, un homme aux bras nus, le menton englouti dans une énorme cravate rouge, s’écria : — Je viens d’entendre le citoyen de Lamartine à l’Assemblée (appuyant sur le de). Jusque-là j’étais sa dupe. Je ne le suis plus. Je croyais à son éloquence, à sa politique, à son humanité. Aujourd’hui je le vois tel qu’il est. Le citoyen de Lamartine n’est pas un orateur, n’est pas un ministre, n’est pas un homme. Il trompe la France et trahit le peuple. J’ai été longtemps séduit moi-même par cette parole emmiellée, mais aujourd’hui je vois que sa langue n’a pas de racine dans son cœur.
Une caricature circulait dans le club. Cette caricature représentait Lamartine ayant dans sa manche Henri V dont on voyait passer la tête. Lamartine le renfonçait doucement dans sa manche en disant : Monseigneur, attendez encore un peu. Tout à l’heure ! Tout à l’heure !
30 Octobre - La salle des pas-perdus du Palais-Bourbon est comble et bruisse d'agitation. De la masse, une voix me hèle "M. Hugo! Ah! M. Hugo!"
C'est M. de Thrawnac, élu sur une profession de foi indéfinissable dans son fief du Midi où il s'est vanté, tel M. de Tocqueville, d'avoir mené la civique procession des électeurs jusqu'au bureau de vote.
Le fier constituant m'abreuve de sa sollicitude : "J'ai raté, malencontreusement comme vous vous en doutez, la définition de la majorité et les votes au début du mois. Quel malheur, j'aurais aimé y prendre part! Je suis ravi de voir que nous siégeons tout deux dans la majorité, nous sommes des hommes d'Ordre, nos idées ont toujours convergé et nous avons toujours été inébranlables. Enfin nous pourrons mettre derrière nous ces tristes événements de Mai!"
Je n'eus pas le temps de répondre, M de Thrawnac, apercevant dans la foule l'objet de l'agitation se précipita vers lui. Il s'empressa de prendre le bras du Prince Louis-Napoléon Bonaparte, nouvel élu envoyé par la Nation à la Constituante.